mercredi 11 août 2010

Ténacité



En Haïti la nature est toute de contrastes : tantôt exubérante, généreuse, tantôt aride, austère. L’homme, lui, doit travailler sans répit pour arracher à la terre de quoi vivre misérablement et il le fait avec un courage, une ténacité et une bonne humeur qui forcent l’admiration…

C'est tout habité par ses sensations quelle m'aborda, assez franchement, avec une candeur et une lourdeur désarmante. C'était il y a quelques mois. Jeune, européenne, jolie, un peu bécasse, en tout cas complètement dépassée par ce qu’elle vivait, tant d’un point de vue professionnel que psycho-sociologique. C’était sa première « mission » comme elle, comme nous, le disons tous. En mission...Avons-nous suffisamment de temps pour sentir, saisir l’ironie cruelle dans la parenté de cette notion avec nos lointains aïeux évangélisateurs, colonisateurs, pacificateurs, amen, dont le discours humanitaire officiel essaye pourtant en permanence de s’affranchir...Bref.

Cette mission, elle la vivait très mal, n’en dormait plus de tant de microtraumatismes internes à l'organisation, de vexations puériles, sentiments d’impuissance infantiles, mais tenait, tenait, encore et toujours, malgre son sentiment d’inutilité tout à fait reconnu, malgré son aveu d’être totalement incompétente en la matière, mais elle s’accrochait. Au début fasciné par cette obstination, voulant y voir quelque chose de beau, un engagement, un quichotequisme quelquonque, ou qq chose d’original, je lui demandai quelle était donc son ressort pour tenir le coup.

La réponse fut sybilline.
Le pognon. Les pépettes, les gourdes, le cash flow.
Car, tu comprends, en Europe, je ne trouverais jamais aucun boulot…J’ai même pas fini ma maitrise…En plus je parle pas français et je comprends rien aux réunions ou qu'on m’envoit, cong...même celles en anglais, hi hi…Ici, le pognon, je m’en mets plein de côté et franchement, c’était inespéré…Trop bien payée!

Voila.

Elle n’a pas 26 ans. Elle est bête à paitre, tourmentée, mais elle tient pour tenir. Je n'ai plus eu l'occasion de lui adresser la parole.

Oui, oui, condamnes moi, je ne suis pas un vrai humaniste et de surcroit, donneur de leçons.
Oui, oui, fais le.
Non, non, tu as raison, je n’aime pas les grosses belettes ou blaireaux de son espèce qui furent et sont légion par ici, depuis le 12 janvier.

Car, parfois, le contraste est là, trop visuel, trop dense, entre la survie et la surface, entre la lutte et la farce, entre le peuple de sans abris et la comédie humanitaire qui se trame ici...

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