dimanche 30 janvier 2011

Infortune


Galettes de boue, made in Cité Soleil, bientôt disponible au Quartier Latin, Place Boyer, Petionville. So authentique...


Papa chanteur, maman douceur, pleures pas bébé bonheur…
Papa colon, Maman esclave, pleures pas bébé malheur…


Je suis tombé sur un vieux camarade, un de ces vieux routiers de l’humanitaire l’autre jour, que je n’avais pas revu depuis l’époque estudiantine. C’est dire si ça remonte…Je devais même avoir encore les idéaux chevillés au cœur comme au corps, encore, à cette époque. C’est dire...
Idéaux que je porte désormais en bandoulière, prêt à les brader au tout venant voire au petit vent, et que je laisse volontiers à l’entrée du Quartier Latin, tel un petit parapluie, le jeudi soir, ou à l’entrée d’un de ces compounds luxueux, villas louées à prix d’or par de nombreuses ONGs internationales, le vendredi ou samedi soir, lors de ces fameuses NGOs parties si courues, histoire de bramer et de mi-pogotter piteusement avec les autres djeunss « militants-mercenaires » humanitaires sur Nirvana ou Stromae…Mais quoi, rétrograde aigri, les gens ont le droit de s’amuser après tout non ? Quoi ? L’odeur de pisse et la vue des tentes délabrées au sortir de ces défouloirs à paillettes devraient nous gêner ? Ce serait indécent, ce qui est dépensé lors de ces mi-orgies très private ? Tss tss tss, vous avez l’esprit mal tourné…Et puis les DSA, per diem et autres bonus sont aussi faits pour ça non?

Bref, ce camarade de jeu, bavard et sûr de son sujet (le bougre vit ici depuis plus de 10 ans, qui plus est maqué, doublé de papounnet), mais plutôt devrais-je dire prolixe et pertinent, en contraste avec le verbiage pompeux-à côté de la plaque qu’on m’a servi de ci de là tout au long de cette année 2010, me résuma la psyché et Weltanschauung/conception du monde haïtienne en ces quelques mots:
« Haiti, vois-tu, mon chew, est un enfant qu’on a abusé, maltraité, violé, et à qui on n’a jamais pris le temps, trouvé les mots justes, pour lui dire que ce n’était pas sa faute…Et que tout ira mieux». Il l'a sans doute dit cela bien mieux encore, et sans une once de paternalisme. C'était drôlement convainquant, tendre, lucide et délicat.
"En même temps, rajouta-t-il, s'ils veulent te niquer, ils le feront, et tu ne t'en rendras compte que trop tard...Part of the game, partné'w".

Voila qui me laissa songeur.

Je n’ai pas écrit depuis le soir des résultats du premier tour, début décembre, car, en passionné de la chose politique, tout ce qui se trame ici depuis, vois-tu, est par trop déprimant. Plus envie de parler d’autres choses. Et Dabadie, ce grand herboriste de l'Haïti contemporaine, en parle mieux que personne. Allez donc le voir: une petite dose, chaque jour, en sachet de 2...

Que se passe-t-il dans la galaxie humanitaire?
Tout, et rien, pourtant.

Aout, rapports soignés mais durs et articles critiques de partout sur la réponse humanitaire: tout va bien, selon l’UNICEF et le PNUD,
Septembre, tempête tourbillonante qui met 20 000 tentes par terre, tout va bien selon l’OIM,
Octobre, cyclone Thomas, mais tout va bien, selon OCHA,
Novembre, irruption et propagation du choléra, élections surréalistes, tout va bien selon la MINUSTAH -heureusement que MSF est là.Et les docs Cubains.
Décembre, violences post-électorales, barricades fumantes dans une capitale paralysée, tout va bien, selon Jude Célestin, et l'OEA.
Janvier, retour de Baby Doc Duvallier, tout va bien, épiphénomène, selon les autorités, les américains, les français.

Janvier, 12 janvier, tout va bien, larmouilles de rigueur pour les 109 UN tombés, jour anniversaire, unb an après: les rapports auto-satisfaits en papier glacé sont de sortie, plus indécents les uns que les autres.
Tiens, les abris sont passés de 16 000 à 31 000 en 2 semaines. Tiens, le WFP/PAM est passé dans son bilan de 2,3 millions de personnes ayant reçu des rations alimentaires à 4 millions. Tiens, on est passé de 5% de débris enlevés à 20%. Miracles délicieux de la Nativité, merveilleux Noël...

Mensonges, mensoooooooonges, simples à démontrer qui plus est. Face à ce discrédit, je me demande ou sont les watch dogs sérieux, les auditeurs de cette mascarade marketing? Des excés de la professionalisation de l'humanitaire...

Nous sommes parasités par des communiquants, des marketters, des bonimenteurs de merde.

Laissez-nous travailler, faire et faire avec pédagogie, faire avec et pas à la place de, plutôt que de subir ce mauvais ragout de manipulation, dissimulations grotesques; mentir, encore et encore...UNICEF, Care, PAM, Handicap International, menteurs! Vos plaquettes "Un an après" sont des tissus de bullshit. Cut the fuckin crap, now!

Bon. Une dose de Dabadie. Je me contrôle. Il est si apaisant, ce gars.Cette capacité à poétiser le réel sordide, merde alors...
Bon, reprenons.

Aussi complexes que préoccupantes, ces situations de "merdier structurel", de sous développement, de blocage total dans le pays, semblent décourager beaucoup de ceux qui jusqu’ici s’efforcaient de les comprendre, comme si chez eux la démission de l’intellectuel ou du professionnel engagé emboitait le pas à l’écoeurement des sentiments devant l’architecture d’iniquités, tant internes qu’externes, dans laquelle ces situations sont bâties.

Certes nous avons tous compris que l’heure n’est plus aux jérémiades ni aux apologétiques culpabilisantes, et que d’ailleurs les exagérations du tiers mondisme n’ont pas fait que du bien au tiers monde lui-même ; mais ce n’est pas pour autant que l’on doit accepter que, suite à une sorte de retour de balancier, se généralise la conviction que si les peuples dits sous développés sont maintenant dans l’état ou on les trouve, c’est aux victimes elles même qu’il conviendrait d’en imputer la responsabilité.

Soit, plus simplement, ce qu'on entend de plus en plus par ici, en ONG, Minustah ou UN agencies land: qu'ils se démerdent, à la fin, s'ils ne sont pas contents...

C'est décourageant, tout ça, oui, vraiment.

Mais de là à perdre le Nord, qui devrait être le souci de contribuer à des solutions concrètes pour les plus vulnérables, soit 85% du Peuple Haïtien, c'est, comme le chantait Francis Lalanne (et quoi, pourquoi qu'il aurait pas sa place lui aussi?), "trop, trop dommage..."

Cette extraordinaire concentration de l’infortune, sur un aussi petit territoire, Herman compte bien continuer en t'en causer, en 2011.
Reviens-donc voir Tonton Herman, il ne t'a pas oublié. Certes, il est un petit peu chafouin, fâché, il est même prêt à te casser la tronche si tu continues à l'embrouiller avec tes faux chiffres et tes conneries, mais il saura tout autant, magnanime, trouver comment te gâter...

Bref, 2011, Débris, c'est reparti.

« Ou mande m cheri sa poyezi vle di ?
…Oun bann ti fraz pou chavire malè. »
Tu me demandes, chérie, ce que la poèsie veut dire ?
…Une série de petites phrases pour faire chavirer le malheur. »

2 commentaires:

  1. Heureux de te lire de nouveau, tu me fais du bien. Écrire ouvertement, c’est comme baiser pas de capotte... Dans ce monde «Où faire l’amour est un danger pour l’humanité», mes billets ressemblent à l’étape des préliminaires... Dabadie, le poète impuissant xxx

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  2. Hou là là les gars, il faut que le vent souffle pour enlever les marques de fatigue (si compréhensibles) et de découragement (combien naturel) qui vous assaillent.
    Le monde est beau... le monde est laid !
    Les 2 côtés de la balance. Oui c'est vrai.
    Mais sachez que grâce à des gens comme vous, nous ici (dans mon cas la France) vous nous dopez, vous nous insufflez la volonté de réussir...
    Certes il ne s'agit pas pour nous de sauver le monde, non juste de protéger 30 petits enfants.
    Mais pour nous en sauver un seul sera déjà magnifique.
    Alors vous ce que vous faites c'est grand, vous nous donnez cette force qui semble parfois vous échapper, et qui nous est si necessaire à nous qui sommes dans un confort étouffant.
    Courage, ne jamais mettre le genou à terre, et comme la petite chèvre de Monsieur Seguin (c'est peut-être un peu trop franco français comme référence ?) lutter jusqu'au petit matin contre le loup, pour un grand principe La Liberté... la notre ... et celle du peuple haïtien.
    Bravo à vous, Jean-François et vous.

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