vendredi 8 octobre 2010

C'est bien la justice qui donne sa certitude à l'ordre



Ce matin, en me rasant. L'Hypothèse à deux balles surgit: nos sociétés ouatées, feutrées, protectrices (pour combien de temps encore?) à Munchengladbach, Montréal ou Montpellier, ont grosso modo extirpé la violence extrême de leurs moeurs politiques.

Partant, en contraste, Haïti serait plutôt, comment dirais-je...D'un autre type.

On parle beaucoup de potentiel chaos, d'insurrection, du possible désordre pré- ou post-électoral en ce moment.
On parle beaucoup des possibilités d'affrontement, de troubles et tensions soudains, dans un pays ou la colère couve et gronde sourdement...

Le 28 novembre comme horizon, et beaucoup d 'incertitudes.

Certains humanitaires, certains partenaires, pensent tour à tour que les haïtiens sont résilients, sont trop soumis, sont courageux, ou trop vulnérables pour se battre constructivement contre ses élites actuelles et imposer un nouveau temps; certains pensent que la MINUSTAH interviendra pour rétablir l'ordre, d'autres pensent qu'elle sera dépassé et qu'il est temps, selon le bon vieil adage, que "ça pète enfin une bonne fois pour toutes". Comme un prolongement de 1804, achever l'inachevé, décoloniser les coeurs, les imaginaires, les corps même. Mais à ces apprentis sorciers de la spéculation insurrectionnelle, qui ne seront que spectateurs facilement évacuables et de facto évacués en un temps record, on est en droit de leur poser la question: quel sera le prix, le tribut du sang et des larmes? N'y a-t-il pas dautres alternatives que la rue en colère dans ce pays pour changer la donne? N'as tu jamais vu les dégats d'un conflit armé, de la haine ethnique ou partisance à son paroxysme? N'a tu jamais vu les tortures, les massacres, les pillages? Moi, d'autres ici, oui, nous avons vu et ne voulons plus voir cela. Nulle part.

Certains humanitaires, certains partenaires, pensent qu'un soulèvement, même limité, aurait des conséquences terribles, imprévisibles; d'autres que cette dynamique, même violente, aurait au moins l'avantage de changer le paradigme d'injustice sociale, de paralysie politique et d'indifférence totale au 1,5 million de déplacés et autres gueux qui ont fait irruption dans l'espace public du pays. Injustice, indifférence, paralysie, autant de tendances lourdes qui président encore aux destinées du pays de Préval et consorts. Mais quelle opposition? Quelle alternative?

Pour ma part, je n'en sais foutre rien.
Je sais juste que la question de l'ordre et de la justice a été posé mille fois dans l'histoire des hommes en marche. A d'autres époques, dans d'autres contextes, certes. Mais le discours "particulariste" sur l"insularité, la spécificité d'Ayiti, a aussi ses limites et commence même à me courir sur le haricot.
Il y a des leçons universelles dans les souffrances et les combats des hommes libres.
Non?

Je sais juste que la question de l'ordre et de la justice a été posé mille fois dans l'histoire des hommes en lutte. Et pas par les plus imbéciles de nos ainés. Je veux pour preuve, Tonton Camus, en 1944:



" On parle beaucoup d'ordre en ce moment (...)
Le résultat, c'est qu'on ne peut invoquer la nécessité de l'ordre pour imposer ses volontés. Car on prend ainsi le problème à l'envers. Il ne faut pas seulement exiger l'ordre pour bien gouverner, il faut bien gouverner pour réaliser le seul ordre qui ait du sens.
Ce n'est pas l'ordre qui renforce la justice, c'est la justice qui donne sa certitude à l'ordre.
(...)
Nous croyons ainsi qu'il est un ordre dont nous ne voulons pas parce qu'il consacrerait notre démission et la fin de l'espoir humain.
C'est pourquoi, si profondément décidés que nous soyons à aider la fondation d'un ordre enfin juste, il faut savoir aussi que nous sommes déterminés à rejeter pour toujours la célèbre phrase d'un faux grand homme et à déclarer que nous préférerons éternellement le désordre à l'injustice."
Extrait d'un article d'Albert CAMUS, paru dans "Combat" le 12 octobre 1944

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